Hydrogène vert : France vs Allemagne, qui avance ?

Hydrogène vert : la France peut-elle rattraper son retard sur l’Allemagne ?

L’hydrogène vert est clé pour la transition énergétique européenne. Cet article analyse l’avance allemande, le retard français et les leviers pour rattraper le terrain perdu.

Michel Duar

27 novembre 2025

5 min de lecture

L’hydrogène vert, pilier de la transition énergétique européenne

L’hydrogène vert, produit par électrolyse de l’eau à partir d’électricité renouvelable, s’impose comme une des solutions les plus prometteuses pour atteindre la neutralité carbone. Contrairement à l’hydrogène « gris », issu du gaz naturel et responsable d’émissions importantes de CO₂, l’hydrogène vert permet de décarboner des secteurs difficiles à électrifier directement, tels que l’industrie lourde, le transport longue distance ou encore la production d’ammoniac. Il est considéré par l’Union européenne comme un levier stratégique pour renforcer son indépendance énergétique et stimuler une nouvelle économie bas carbone.

À ce titre, la Commission européenne a défini un cadre ambitieux : d’ici 2030, l’Europe doit produire 10 millions de tonnes d’hydrogène renouvelable et en importer autant. Cependant, tous les pays n’avancent pas au même rythme. L’Allemagne a pris une longueur d’avance en investissant massivement dès 2020, tandis que la France peine encore à concrétiser ses ambitions, malgré une stratégie nationale solide sur le papier.

L’avance allemande : investissements massifs et stratégie industrielle claire

L’Allemagne s’est positionnée très tôt comme un acteur central de la filière hydrogène. Sa stratégie nationale pour l’hydrogène, lancée dès 2020, repose sur un objectif clair : devenir le leader européen de la production et de l’exportation d’hydrogène vert. Le gouvernement fédéral a mobilisé plus de 9 milliards d’euros pour développer l’écosystème complet, de la recherche aux infrastructures de transport et de stockage.

Ce choix s’inscrit dans une logique industrielle pragmatique : l’Allemagne anticipe la décarbonation de son industrie sidérurgique et chimique, très énergivore. Les grands groupes comme Thyssenkrupp, Siemens Energy ou BASF expérimentent déjà des procédés reposant sur l’hydrogène vert, tandis que des régions comme la Rhénanie-du-Nord-Westphalie accueillent des hubs de production et de distribution à grande échelle.

Pour mieux comprendre les atouts de l’Allemagne, on peut les résumer ainsi :

  • Planification anticipée : lancement précoce d’une stratégie nationale cohérente.
  • Infrastructures adaptées : réseaux de transport d’hydrogène en cours d’intégration avec les gazoducs existants.
  • Partenariats internationaux : accords conclus avec le Maroc, la Namibie ou encore le Chili pour importer de l’hydrogène vert à bas coût.
  • Coordination industrielle : collaboration étroite entre l’État, les Länder et les grands groupes privés.

Ce modèle d’avance repose sur une cohérence entre les moyens financiers, la vision à long terme et la coordination publique-privée. La France, de son côté, affiche une ambition similaire mais se heurte encore à des obstacles structurels et à un rythme d’exécution plus lent.

La France à la traîne : entre ambitions et réalités du terrain

La France n’est pas absente du paysage européen de l’hydrogène, mais elle avance plus prudemment. En 2020, Paris a présenté son propre plan hydrogène doté de 7 milliards d’euros, dont 3,4 milliards mobilisés d’ici 2023. L’objectif est de soutenir la production d’hydrogène vert et la création d’une filière industrielle nationale. Toutefois, la mise en œuvre concrète reste en retrait par rapport aux annonces. Le déploiement de projets pilotes, l’installation d’électrolyseurs et la formation des acteurs avancent lentement.

Les causes de ce retard sont multiples :

  • Lenteur administrative : les procédures d’autorisation et d’attribution des subventions sont longues et complexes.
  • Manque de coordination : les régions développent leurs propres initiatives sans toujours les harmoniser avec la stratégie nationale.
  • Dépendance énergétique : la France reste centrée sur son électricité nucléaire, ce qui limite la part d’électricité renouvelable nécessaire à la production d’hydrogène vert.

Malgré ces difficultés, certains projets témoignent d’un réel dynamisme. Par exemple, le projet H2V Normandy vise à construire un des plus grands sites d’électrolyse d’Europe, tandis qu’Air Liquide et Engie multiplient les initiatives pour décarboner le transport et l’industrie. La filière française se structure, mais elle souffre encore d’un manque de visibilité et de volumes de production suffisants.

Les leviers du rattrapage : innovation, coopération et souveraineté énergétique

Pour combler son retard sur l’Allemagne, la France peut s’appuyer sur plusieurs leviers concrets. D’abord, elle dispose d’un atout majeur : un mix électrique déjà très décarboné grâce au nucléaire. Cela permet d’alimenter les électrolyseurs avec une électricité faiblement émettrice, ce qui pourrait renforcer la compétitivité de l’hydrogène produit sur le territoire.

Ensuite, le pays doit miser sur l’innovation technologique et la création d’écosystèmes régionaux. Les projets intégrés, associant production, distribution et usage local, sont essentiels pour atteindre la viabilité économique. De nombreuses régions – notamment l’Occitanie, la Bourgogne-Franche-Comté et les Hauts-de-France – développent déjà des corridors hydrogène reliant zones industrielles, ports et réseaux de transport.

Pour structurer efficacement la filière, la France doit également renforcer la coopération européenne. Une meilleure interconnexion avec les voisins allemands, belges et espagnols permettra de mutualiser les infrastructures et d’équilibrer les coûts de production. L’hydrogène, par nature, est une ressource transfrontalière : son développement exige des standards communs, des pipelines interconnectés et des règles de certification harmonisées.

Voici quelques pistes d’action concrètes pour accélérer la dynamique française :

  1. Faciliter les démarches administratives et raccourcir les délais de financement des projets.
  2. Investir massivement dans la R&D pour améliorer le rendement et la durabilité des électrolyseurs.
  3. Favoriser les partenariats public-privé, notamment entre start-ups et grands groupes industriels.
  4. Développer des formations spécialisées pour répondre à la demande croissante de compétences dans la filière hydrogène.
  5. Intégrer la production d’hydrogène dans une stratégie plus large de réindustrialisation verte.

Ces mesures permettraient à la France non seulement de combler son retard, mais aussi de bâtir une souveraineté énergétique durable fondée sur la coopération européenne et l’innovation locale.

Vers une course équilibrée ou une dépendance renforcée ?

La compétition franco-allemande dans le domaine de l’hydrogène vert illustre deux approches distinctes de la transition énergétique. L’Allemagne mise sur une stratégie d’investissement massif et une forte intégration européenne, tandis que la France s’appuie sur son électricité bas carbone et une logique de filière nationale. Ces deux modèles pourraient se révéler complémentaires, à condition que la coopération prime sur la rivalité.

Un scénario équilibré verrait les deux pays unir leurs forces pour créer un marché européen de l’hydrogène compétitif et résilient. Cependant, si la France ne parvient pas à accélérer ses déploiements, elle risque de dépendre des importations d’hydrogène allemand ou étranger, ce qui affaiblirait sa souveraineté énergétique.

Les choix des prochaines années seront donc déterminants. Entre 2025 et 2030, la capacité de la France à industrialiser sa production, à soutenir ses acteurs nationaux et à sécuriser ses approvisionnements décidera de sa place dans la nouvelle économie de l’hydrogène. Si elle réussit ce virage, elle pourra non seulement rattraper l’Allemagne, mais aussi contribuer à faire de l’Europe un leader mondial du développement durable.